ça fait un peu longtemps que je re-ressens cette petite envie d'écrire...
Mon père m'avait dit un jour que c'était faire preuve d'un sacré orgueil que d'écrire ses mémoires ; comme si quiconque était digne de laisser quoi que ce soit à la postérité, comme si la vision d'un homme mort pouvait être plus valable que celle des hommes vivants. Le ton aussi dédaigneux qu'assuré sur lequel il m'avait donné cet avis ainsi que la profonde humilité qu'il révélait ainsi m'ont entièrement convaincue, à l'instant où mon oreille a été frappée par lui, que je tenais là un fait indiscutable.
Mais enfin, sur quoi voulez-vous que j'écrive si ce n'est sur moi, qui est la seule chose en vérité que je puisse connaître ?
PS Le monde est insupportable. A peine ai-je commencé à écrire, entourée de voyageurs dans le métro, que je sens leurs regards avides et impudiques se poser sur mon carnet que je tiens pourtant d'un angle tel qu'il leur est impossible de déchiffrer mon écriture que j'opacifie au moyen de grandes boucles et de longs traits par précaution supplémentaire.
Peut-être ne regardent-ils pas, et peut-être n'est-ce que la conscience qu'ils pourraient vouloir regarder, ou la certitude qu'à leur place je voudrais regarder qui m'irrite tant. L'enfer, dans les autres, c'est nous.