Le petit théâtre de la rue

Publié le par gratin

100_4311.JPG

 

 

Décor: supermarché du coin, le matin vers trente heures treize, le premier lundi de l'année là.

 

LE VIEUX MONSIEUR: bonjour madame.

LA CAISSIERE: bonjour monsieur.

LA CAISSE (banale): bip.

LE VIEUX MONSIEUR: et tous mes voeux, hein.

LA CAISSIERE: ah bah oui, bonne année. Et bonne santé, c'est le plus important!

LA CAISSE (machinale): bip.

LE VIEUX MONSIEUR: oui, c'est important. Mais enfin vous savez, pour moi c'est pas la santé le plus important hein, à mon âge. Heureusement (petite toux dérisoire)

LA CAISSIERE: ha oui? C'est quoi le plus important pour vous alors?

LA CAISSE (par habitude): bip.

LE VIEUX MONSIEUR: les enfants madame. Moi mes enfants ils ont réussi ils sont loin, je les vois pas beaucoup, mais c'est eux le plus important. Toujours je pense à eux, toujours je les appelle, tous les jours. Je leur envoie de l'argent quand ils ont besoin et tout, oui.

LA CAISSIERE: ils sont où vos enfants?

LA CAISSE (finalement intéressée): bip.

LE VIEUX MONSIEUR: ils sont en Amérique madame! Ils ont réussi, ils ont une grande maison chacun, elle est belle, j'ai vu les photos. Mon premier fils il a une grande piscine, le deuxième elle est plus petite mais il y a un jacuzzi dedans. Ils ont bien réussi, mais ils sont loin.

LA CAISSIERE: vous les avez vus pour les fêtes au moins?

LA CAISSE (avec espoir): bip.

LE VIEUX MONSIEUR: ha non, ils travaillent, et puis c'est cher, et c'est loin. Moi je peux pas prendre l'avion à cause de mon coeur, et eux ils sont toujours pressés. Je leur ai payé un billet: non papa, ils m'ont dit, on travaille. Alors, hein...

LA CAISSE (pour meubler): bip.

LE VIEUX MONSIEUR: mais c'est comme ça vous savez, la génération de maintenant, ma voisine elle a passé Noël toute seule elle aussi. Ses filles elles sont loin et pareil, elles travaillent. Tous les jeunes ils travaillent, hein. Tout le temps.

LA CAISSE (un poil triste): bip.

LA CAISSIERE: monsieur, je peux vous embrasser pour la nouvelle année?

LA CAISSE (timide): bip.

LE VIEUX MONSIEUR (rougit): hein? oh bah si ça vous amuse d'embrasser un vieux machin...

LA CAISSIERE: vous plaisantez? j'attends ça depuis 365 jours! Allez, bougez pas, j'arrive!

LA CAISSE (joyeuse): bip!

La caissière fait le tour de la caisse, juste le temps qu'il faut au vieux monsieur pour se remettre. L'embrasse. Et repasse de l'autre côté.

LA CAISSE (pour conclure): bip.

 

 

 

 

Ca m'a fait penser à cet après-midi de vacances où la voix de Fernandel avait peu à peu rempli le salon boisé de mes grands-parents.

"Ces petits vieux... Ca n'a qu'une goutte de sang dans tout le corps, mais à la moindre émotion elle leur saute au visage."

 

 

 

 

 

(droits d'auteurs: merci à Boulet pour le titre, à Daudet pour la lettre de son moulin, à moi pour le reste)

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Sympa votre blog!...<br /> <br /> Bonne continuation,<br /> <br /> vaxweb<br /> <br /> http://vaxweb.fr<br /> <br /> <br />
Répondre